Fondateur du quotidien arménien « Haratch » à Paris en 1925.

Biographie :

Schavarch Missakian est né dans la bourgade de Zmara, non loin de Sépastia (Sivas), en 1884. Il a six ans lorsque sa famille s’installe à Constantinople. Il fréquente d’abord une école primaire arménienne à Kum Kapou, avant d’intégrer le prestigieux collège Kétronagan à Galata. En 1896, au moment des massacres hamidiens, le collège est fermé et Schavarch intègre une école de missionnaires américains. Après un court séjour dans l’Anatolian College de Marzvan dont il rejette la mentalité, il revient à Bolis.

Adolescent devenu apprenti et homme à tout faire dans le quotidien arménien Sourhandak (1899-1908), il assimile les bases et s’initie aux innombrables embûches du métier de journaliste en Orient. Il découvre la presse dachnak publiée en Europe (Droschak, Razmig). Trompant la vigilance de la police ottomane, il y publie quelques articles (1905). Il entre clandestinement dans les rangs de la FRA, le 28 mai 1907, le jour où le fédaï Kévork Tchavouche est tué sur le pont de Souloukh, au cours d’un affrontement avec l’armée turque dans la plaine de Mouch (3).

La révolution jeune-turque de juillet 1908 restaure la Constitution de 1876 et instaure la liberté de la presse dans l’empire ottoman. Schavarch fonde, avec Zabel Essayan – déjà un vétéran des lettres arméniennes – Kéram Barséghian, Vahram Tatoul, l’hebdomadaire littéraire Aztak ainsi que la librairie Ardziv destinée à diffuser la nouvelle littérature. L’enthousiasme de ces jeunes militants supplée l’indigence de leurs moyens. Aztak découvre et publie des poètes et des prosateurs arméniens : Daniel Varoujan, Siamento, le futur Hagop Ochagan etc. Il disparaît lorsque la FRA lance à Bolis son organe officiel, la quotidien Azadamard (juin 1909).

En 1911, Schavarch est envoyé par la FRA à Garin (Erzerum) pour assumer la publication de Haratch (1909-1914), “organe de la jeunesse arménienne,” dont le rédacteur Yéghiché Toptchian vient d’être assassiné. Il y restera un an. Ce voyage initiatique, la découverte de la terre et du peuple du Yerkir (Erzerum, Mouch, Sassoun) resteront des souvenirs inoubliables. Et douloureux.

Au retour, intégré dans l’équipe d’Azadamard, il a la responsabilité de son hebdomadaire littéraire. Après la rafle des dirigeants arméniens du 11 ( (24) avril 1915, il entre en clandestinité et fait parvenir régulièrement au journal Hayastan de Sofia des informations sur les violences exercées contre les Arméniens. Dénoncé, il est arrêté le 26 mars 1916 alors qu’il tente de gagner la Bulgarie. Emprisonné, soumis durant des mois à la question, il tente d’échapper à la torture en se jetant du troisième étage de sa prison. Grièvement blessé, opéré, il ne meurt pas. Condamné par un tribunal militaire à cinq ans travaux forcés, il est libéré après l’armistice, en novembre 1918. Il est alors nommé rédacteur en chef de Djagadamard, le nouveau quotidien de la FRA publié dans le sillon d’Azadamard. En même temps, il fait partie du Comité Central ( le comité Vichab ) de la FRA à Bolis. En septembre1919, il participe au 9ème Congrès général de la FRA à Erévan.

Homme de dialogue, il est chargé par son parti de négocier avec le poète Vahan Tékéyan, délégué de Boghos Nubar Pacha à Erévan et futur fondateur du parti Ramgavar au Caire. Après une tournée en Europe, on le retrouve à la tête de Djagadamard à Bolis. Mais la victoire de Mustafa Kémal (novembre 1922) l’oblige à s’exiler à Sofia. Il s’y marie avec une sympathisante dachnak Dirouhie Azarian. En novembre 1924, il est Paris où commence le 10ème Congrès de la FRA, un congrès de reconstruction.

En janvier 1925, Schavarch est élu membre du Bureau, la plus haute instance de la FRA. La même année, il fonde à Paris, mais en son propre nom, le journal Haratch. De 1925 à 1939, Haratch informe, éduque et structure la communauté arménienne de France estimée à 40 000 individus en 1925 et à 100 000 en 1939.

Haratch gagne en influence, l’emporte sur ses rivaux (4), atteint une diffusion quotidienne de 5 000 exemplaires et paraît sans interruption jusqu’à l’entrée des Allemands à Paris. Le 9 juin 1940, Schavarch saborde volontairement son journal qui réapparaîtra après la Libération de la France, le 8 avril 1945. En automne1945, Schavarch Missakian porte sur les fonds baptismaux la FRA-Nor Séround. Ce mouvement de jeunesse doté d’un organe bilingue, Hayastan, [1] (voir et lire les 8 premiers numéros datés de 1939) est destiné à enrayer la menace d’une fracture générationnelle. Né dans l’enthousiasme, le mouvement auquel incombe la réception et la transmission de l’héritage culturel et des revendications politiques arméniens, annonce 1 000 membres, garçons et filles, en 1948.

Debout de gauche à droite : Sch. Missakian, Ch. Chahnour/Armen Lubin, N. Bechiktachlian, Mélkon Kébabdjian, Sch. Nartouni. Assis : Théotig. Photo février 1928.

La naissance de la FRA-Nor Séround a coïncidé avec le Procès de Nüremberg (nov.1945-oct.1946), procès au cours duquel un tribunal militaire international a jugé et condamné les criminels de guerre nazis. Pour la première fois le terme de “génocide”, forgé par Raphaël Lemkin, a été utilisé.

Dans son éditorial du 9 décembre 1945 dont le titre “Génocide ” est édité en français, (cliquer l’image pour accéder à la version numérisée en mode liseuse), Schavarch Missakian explique minutieusement à ses lecteurs arméniens l’étymologie du mot et la nature du crime contre l’humanité auquel il s’applique. Instinctivement nous pensons, écrit Schavarch, à ces “crimes de guerre” accomplis selon un “plan prémédité”, il y a trente ans, dans un “monde lointain” contre “un peuple abandonné et sans défense.” Et s’il énumère à ses lecteurs les horreurs du génocide arménien, c’est pour s’étonner. “ A l’époque, où étaient les juristes et les juges d’aujourd’hui ? Ils n’avaient pas trouvé le mot ? Ou bien le monstre sanguinaire était si puissant et si inapprochable qu’ils n’ont pu le saisir ? Notre révolte est décuplée surtout par le fait qu’à l’époque les vainqueurs du moment étaient sur place, sur les lieux du crime. Ils sont restés sur place quatre années entières et, comme aujourd’hui en Allemagne, ils y régnaient en maîtres.”

Sans le savoir, le directeur de Haratch venait d’inaugurer une nouvelle phase des revendications arméniennes.

Respecté, admiré et plus encore aimé de ses lecteurs, Schavarch Missakian dirigea son journal jusqu’à son dernier souffle, le 26 janvier 1957. Après de grandioses funérailles nationales, celui qui avait été “un fedaï de la plume ”, fut enterré dans le cimetière du Père Lachaise (31 janvier 1957).

Christian Varoujan Artin

Biographie tirée de : « Les 80 ans de Haratch, Article dans France-Arménie, décembre 2005, Anahide Ter-Minassian. »
Photos : fonds ARAM.

Oeuvres :

Journal Haratch – ՅԱՌԱՋ

L’association pour la recherche et l’archivage de la mémoire arménienne (ARAM) a entrepris la numérisation de l’ensemble des numéros du quotidien Haratch. Ce travail a débuté en 2011 et s’est déroulé par étape. Nous vous présentons en accès libre et gratuit, la collection complète, soit 22.214 numéros publiés entre 1925 et 2009, soit l’équivalent de … Lire la suite